On trouvera ci-dessous des extraits d'un courriel de Michael Pettis à l’attention de Mike Shedlock dans lesquels Michael Pettis partage ses réflexions sur les marchés financiers chinois, le caractère insoutenable de la croissance chinoise, les pyramides de Ponzi qui sont découvertes dans les programmes de gestion de patrimoines, ainsi que les implications dans les efforts de rééquilibrage de la Chine.
Michael Pettis vis en Chine depuis une dizaine d'années et possède une très bonne connaissance de ce pays et de la manière dont il fonctionne. Ces interventions sont toujours très enrichissantes.
Michael Pettis a récemment publié un livre « The Great
Rebalancing: Trade, Conflict, and the Perilous Road Ahead for the World Economy”
qui traite de ces sujets en profondeur.
Je ne l'ai pas encore lu mais je compte le faire bientôt.
------------ Début de la communication de Michael Pettis -----------------
Les analystes se
concentrent sur les problèmes d'endettement spécifiques à la Chine et la façon
dont ils doivent être résolus, je (Michael Pettis) pense plutôt qu’au lieu de s’attarder
sur les problèmes de la dette, nous devrions étudier comment le système
fonctionne globalement.
J'ai fait valoir à plusieurs reprises au cours des six dernières années que le
modèle de croissance chinois a atteint le point (peut-être depuis plus d'une
dizaine d'années), où la croissance a été presque nécessairement attribuable à
une augmentation insoutenable de la dette. Cela signifiait, du moins je le
suggérais, que même s’il pourrait être difficile de prévoir quand le problème
de la dette allait surgir, il était très facile de prédire que les problèmes de
la dette se propagerait d’un secteur de l'économie à l'autre.
C’est ce dont nous devons- nous rappeler quand on évoque les risques financiers
en Chine. L'une des grandes histoires de ce mois était bien sûr la faillite de Zhongding
Wealth Investment Centre qui a développé un produit de gestion de fortunes (Wealth
Management Program ou WMP) émis et vendus par une succursale de Shanghai Huaxia
Bank.
Selon un article paru dans le South China Morning Post, [Huaxia scandal
spotlights China's Ponzi crisis] «des dizaines de déposants ont perdu plusieurs millions de yuans qu’ils
avaient investis dans un produit de
gestion de fortune (WMP) vendu par une succursale de Shanghai Huaxia Bank. Cette
histoire a été un rappel brutal quant au
fait que les pyramides de Ponzi se
développent sur le continent, là où des millions de résidents croient encore
que les banques sont les plus sûrs refuges pour leur épargne. »
La raison pour laquelle cette histoire est importante n'est pas parce que
l'opération est assez importante pour faire une grande différence (NDT :
Zhongding aurait réussi à lever environ 119 Million de Yuan), mais
plutôt dans ce qu'elle nous dit sur les risques dans le système financier. Le
premier point est que nous n'avons aucune idée de ce qui se passe réellement
dans cette partie déjà importante et en croissance rapide du système financier
chinois, mais tout ce que nous pouvons en apercevoir semble assez laid.
Dans ma lettre du 29 Octobre, je me suis
référé à un article récent qui évoquait ce problème, un article par Xiao Gang,
directeur général de la Banque de Chine, dans le China Daily. Dans cet article,
il décrit le système bancaire parallèle (NDT
appelé shadow banking en Anglais) et le rôle des produits de gestion de fortunes:
Il est difficile de mesurer avec précision la quantité et la valeur des WMP.
Fitch Ratings indique que les WMP comptent pour environ 16% de l'ensemble des
dépôts des banques commerciales, tandis que les rapports de KPMG parient sur le
fait que les sociétés fiduciaires (trust companies) vont bientôt dépasser l'assurance pour devenir
le deuxième secteur en importance dans le secteur financier chinois. Selon un
rapport de CN Benefits, une société de conseils Chinoise dans la gestion de
patrimoines, les ventes de WMP ont grimpé de 43% dans la première moitié de
2012 pour atteindre 1,9 milliards de dollars.
Il y a plus de 20.000 WMP en circulation, alors qu’ils y en avaient quelques centaines il y a juste cinq ans.
Étant donné la difficulté de gérer un si grand nombre de produits, le secteur
bancaire parallèle Chinois est devenu
une source potentielle de risque financier systémique au cours des prochaines
années.
Ce qui particulièrement inquiétante, c’est la qualité et la transparence des
WMP. De nombreux actifs sous-jacents aux produits dépendent de propriétés
immobilières – aujourd’hui vides - ou bien
d’infrastructures à long terme, et sont parfois même sont liés à des projets à hauts risques, qui
peuvent se trouver dans l'impossibilité de générer des flux de trésorerie
suffisants pour répondre aux obligations de remboursement.
Je m’en suis allé dire dans ma lettre
d'information:
Il y a trois grandes questions avec les
WMPs, comme les analystes le reconnaissent, et d’ailleurs Xiao les a abordé peut-être avec un peu plus de tact politique
que je ne le fais. Tout d'abord, nous ne connaissons pas la taille de ce
marché. Deuxièmement, nous n'avons aucune idée de si oui ou non les actifs sur
lesquels s’appuient ces produits sont viables - en fait, les banquiers qui
vendent les WMPs ne sont presque jamais en mesure d'expliquer sur quels actifs
ils reposent. Troisièmement, nous n'avons aucune idée du (des) mécanisme(s) de
transmission qu’il peut y avoir entre les problèmes potentiels des WMPs et le
système bancaire.
Le point clé que nous devons retenir, c'est que quoique fasse Pékin au sujet des
WMPs, cela ne résoudra pas le problème de la dette sous-jacente. La croissance
en Chine est actuellement dépendante de l'augmentation insoutenable de la
dette. Si l'un des moyens de cette croissance de la dette est supprimé, nous
allons tout simplement voir la dette augmenter ailleurs. La croissance
économique en Chine nécessite une croissance rapide de l'investissement. Cette
croissance de l'investissement est de plus en plus mal répartie sur des projets
qui ne génèrent pas les gains de productivité réels nécessaires pour couvrir le
coût du capital. Étant donné que ces investissements sont financés au moins en
partie par la dette, la dette doit augmenter dans une partie du système ou une
autre tant que le taux de croissance du PIB est supérieur à 4-5%.
En Chine, en d'autres termes, une forte croissance n'est plus compatible avec
un bilan renforcé. Si la Chine se développe à un taux qui approche ou dépasse
ce niveau, il y a sans doute fort à parier que la dette augmente plus vite que
la capacité du pays à la rembourser.
Les bonnes nouvelles sont que les nouveaux dirigeants du parti semblent avoir
compris d’une part la nécessité de mettre en œuvre des réformes, et d’autre
part que cela va être un processus difficile politiquement.
Comme un article du Quotidien du Peuple le soulignait: il n’y a aucun chemin
facile en vue pour l'avenir économique de la Chine (No easy path in sight for China's economic
future)
«La réforme est passionnante, mais elle est aussi plein de difficultés et de
défis. M. Xi a indiqué lors d’une visite dans le Guangdong, que la Chine doit
regarder en face les difficultés et les défis auxquels elle fait face, elle doit s'efforcer d'obtenir les meilleurs
résultats possibles et fermement saisir cette
chance. Cela mérite d'être examiné par l'ensemble du Parti et la
société. »
Ces termes « difficultés et
défis » sont, je pense, les choses dont nous devrions le plus nous préoccupés
dans nos tentatives pour comprendre le rythme des réformes. L'histoire des pays
en développement suggère que la plupart des pays échouent dans leur processus
de réformes et d'ajustements précisément parce que les secteurs de l'économie
qui ont le plus bénéficiés des distorsions sont assez puissants pour bloquer
toute tentative d'élimination des dites distorsions.
Certes, peu d’acteurs en Chine sont
convaincus que Beijing sera capable de faire passer les réformes ,qui sont
largement acceptées comme nécessaire, sans combats. Cette semaine, deux articles intéressants du
South China Morning Post peuvent témoigner du degré d'inquiétude qui règne en
ce moment dans le pays.
Le premier article nous révèle l’essentiel dans le titre (« Nombre record de chinois
riches et qualifiés qui quittent la Chine » - (China's rich and
skilled leave in record numbers). Il poursuit en disant:
L'année dernière, plus de 150000 chinois sont
devenus des citoyens permanents dans les grands pays d'immigrations que sont
les États-Unis, le Canada, l’Australie
et la Nouvelle-Zélande, le plus
important flux migratoire jamais enregistré. Le Centre pour la Chine et la
mondialisation (CCD) et le Beijing Institute of Technology (BIT) - Faculté de
droit ont publié leurs conclusions dans le Chinese International Talents annual
Blue Book sur les migrations internationales (2012), ce lundi, selon les
médias.
... Un autre rapport du Hurun Research Institute et de la Banque de Chine en
2011 a révélé que 14% des chinois à haut potentiel avaient émigré ou étaient en
train de le faire. En outre, 46% envisageaient de déménager à l'étranger de
façon permanente par le biais de divers programmes d’immigrations pour
investisseurs.
Le département US Citizenship and
Immigration Services (USCIS) a déclaré que 41% des candidats au programme concernant les candidats « immigrants
investisseurs (ou EB-5) » étaient d'origine chinoise tandis que le
ministère australien de l'Immigration et de la Citoyenneté a rapporté que 61,5%
des candidats pour le programme d’immigration estampillé Affaires étaient
d'origine chinoise.
Nous savons depuis un certain temps que les Chinois qui en ont les moyens sont
de plus en plus nombreux à franchir le pas pour s'installer à l'étranger. Il
existe de nombreuses raisons pour cela, bien sûr, mais la Chine ne cesse de
croître beaucoup plus vite que le reste du monde, même si certains d'entre nous
sont dubitatifs devant les chiffres officiels, le fait que des gens à chercher
des débouchés à l'étranger suggère à l' moins que ce soit une partie de ces
personnes gravement douter de la durabilité de la croissance actuelle de la
Chine et de s'attendre à s'écrouler, ou qu'ils sont préoccupés par
l'incertitude politique et la possibilité de difficultés à venir. Ou les deux.
Le deuxième article, China 'top source'
of world's tainted money, également
publié par South China Morning Post, porte sur des données provenant d'une
source complètement différente et à des fins totalement différentes également,
mais il raconte la même histoire. L'article est basé sur une étude très
intéressante menée par Global Financial
Integrity sur les flux de capitaux illicites dans le monde entier. L'article
résumé l’étude ainsi:
Un rapporteur de Global Financial Integrity indique que 150 pays en développement,
notamment la Chine, ont été la source de flux d'argent sale totalisant US $ 5,9
milliards de dollars sur 10 ans- jusqu’à
2010.
Les flux d'argent illicite proviennent de l'évasion fiscale, de la criminalité
et de la corruption dans les pays en développement sont revenus à des niveaux
d'avant la crise financière, atteignant près de US $ 859 milliards en 2010, flirtant
avec le top de US $ 871 milliards en 2008. En 2009, suite à la crise financière
mondiale, ce chiffre est tombé à US $ 776 milliards.
La Chine arrive en tête de liste des pays en développement qui envoie de
l'argent illicite à l'étranger, que ce soit dans des paradis offshore ou à des
institutions financières dans les pays développés. En 2010, l'argent illicite estampillé
Chine totalisait US $ 420 milliards, selon le rapport.
À titre de comparaison, la Malaisie est arrivé deuxième, avec plus de 64
milliards en 2010 et 285 milliards de dollars pour la décennie.
Un classement complet de 71 pays montre, entre autres choses, que les flux de
capitaux illicites en provenance de Chine sont à peu près égaux à la somme des
flux de capitaux illicites en provenance des cinquante autres pays qui suivent
la Chine dans cette liste. Je n'ai pas été en mesure d'ajuster les chiffres en
fonction du PIB (les grandes économies devraient, en moyenne, montrer des sorties illicites plus importantes),
mais si l'on considère que les cinquante pays sont le Mexique, la Malaisie, la
Russie, l'Inde, l'Indonésie, la Pologne, le Brésil, la Turquie , l'Argentine,
la Hongrie et une quarantaine d'autres, je pense qu'il est assez sûr de dire
que le classement de la Chine en tant que numéro 1 n'est pas seulement lié au
fait que c’est la plus grande économie en développement du monde.
En proportion du PIB, en d'autres termes, les sorties illicites chinoises semblent
facilement dépasser la moyenne pour tous les pays en développement.
L'un des paragraphes les plus intéressants de l'étude, selon moi, concerne la
facturation des échanges commerciaux:
La falsification des factures concernant
des produits importés/exportés (Misinvoicing trade – par exemple vous importez
des clubs de Golf pour un montant de 5000 Euros alors que le prix médian dans
le monde est de 100 Euros – note de traducteur) est la méthode préférée de
transfert illicite de capitaux de toutes les régions sauf la région MENA (Middle
East North Africa – note du traducteur) où il ne représente que 37% des sorties
totales pour la décennie se terminant en 2010 (graphique 6). En ordre
décroissant de position dominante, la part du « misinvoicing » dans le
total des sorties de capitaux par région nous trouvons l'Asie (94 %), l'hémisphère occidental (84%),
l'Afrique (65%), et le l'Europe en voie de développement (53%).
(Note du traducteur - le rapport discutant ce sujet en détails se trouve ici : http://www.gfintegrity.org/storage/gfip/documents/reports/ChinaOct2012/gfi-china-oct2012-report-web.pdf)
Cela crée, pour moi, un problème réel et très évident dans la compréhension des chiffres du commerce de la Chine. Selon l'étude, l'argent illicite de la Chine totalisait US $ 420 milliards en 2010. L'étude affirme également que, dans l'Asie, la quasi-totalité des flux de capitaux illicites (94%) se produit à travers la falsification des factures, ce qui suggère, bien sûr, que les chiffres du commerce peuvent être sérieusement déformés. Si le capital est secrètement sorti du pays par les échanges commerciaux internationaux, les exportations sont susceptibles d'être sous-déclarées, les importations sont susceptibles d'être sur-déclarés, et l'excédent commercial réel est presque certainement plus grand que l'excédent commercial déclaré.
Comment évaluer l’impact des flux illicites de capitaux sur la balance commerciale réelle de la Chine? Voici un article de Xinhua datant de Janvier 2011 (China’s 2010 trade account):
Le commerce extérieur de la Chine a bondi l'an dernier de 34.7% en année glissante pour atteindre plus de 2,97 trillions de dollars américains, tandis que son excédent commercial a diminué de 6,4% pour atteindre 183,1 milliards de dollars, d’après la publication de l'Administration générale des Douanes (GAC).
Les exportations du pays a augmenté de 31,3% en année glissante pour atteindre 1,58 milliards de dollars américains, tandis que les importations ont bondi 38,7 % à 1,39 milliards de dollars américains, a déclaré le GAC. «Le commerce extérieur de la Chine est, en général, se dirigeant vers une structure équilibrée», a déclaré le GAC dans un communiqué sur son site internet. L'excédent commercial représentait 6,2 % de tout le commerce extérieur l'an dernier, en baisse de 8,9 % en 2009 et de 11,6 % en 2008.
Il est clair que ces chiffres illicites des flux de capitaux sont assez significatifs par rapport aux chiffres du commerce. L'excédent commercial de la Chine en 2010 a été rapporté à 183 milliards de dollars, mais GFI affirme que les flux de capitaux illicites (je suppose que la plupart sinon la totalité, représente des sorties, voire même des sorties nettes) pour l'année étaient de 420 milliards de dollars.
Même si ces chiffres sont « extravagants », ils indiquent que l'excédent commercial réel de la Chine a pu être sensiblement plus élevé que rapporté, avec une grande partie, sinon la plupart de la différence garnissant des comptes offshores. Ces chiffres suggèrent également que la croissance, morose, des importations de l'année écoulée, que les gens intelligents comme Andy Xie insiste pour dire qu’ils ne sont pas compatibles avec les taux élevés de croissances officielles réclamées par le gouvernement, peut-être encore plus faible que celle qui est annoncée.
Évidemment, je ne suis pas la première personne à se plaindre de l'opacité des données économiques chinoises et des difficultés qu’il y a à concilier une série de chiffres avec une autre, mais je pense qu'il est important de noter que l'opacité alors n’est peut-être pas un problème pendant la phase optimiste d’un cycle haussier, elle peut soudainement devenir un énorme problème lors du cycle baissier. Qu’est ce qui est pire ? C’est une augmentation de l'opacité, que nous voyons clairement dans le système financier, ce qui est généralement annonciateur de mauvaises nouvelles. Lorsque l'économie commence à se dégrader sérieusement, souvent la première impulsion pour beaucoup est de masquer ou falsifier les données.
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